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mardi 18 juillet 2023

Nouvelles mythologies alpines : la cordée appliquée à la littérature




Quarante-quatre auteurs, reliés entre eux par un même amour des cimes, signent chacun un court texte sur le rapport des hommes aux sommets.

80 secondes ce matin sur ces Nouvelles mythologies alpines que publie, dix ans après un premier recueil, le guide de haute montagne François Damilano. 44 histoires à lire dans l'ordre qu'il vous plaira comme on trace un itinéraire en montagne.

J'emprunterai pour débuter la départementale 530, petite route centenaire qui mène au cœur du massif des Ecrins. Le réalisateur Claude Andrieux la décrit comme on le ferait d'un escalier à gravir pour rejoindre un rendez-vous amoureux.

Je me glisserai ensuite dans les pas du premier de cordée dont le guide Blaise Agresti dresse le portrait. Il n'est pas un chef autoritaire, écrit-il, mais un facilitateur.

Et voilà le gardien de refuge : Cédric dont la journaliste Virginie Troussier nous explique qu'il reste des heures une saison entière au même endroit. Il a, dit-elle, trouvé l'espace de son propre épanouissement.

Tout près, je croise l'ancien procureur de la République de Paris, François Molins, il se définit comme un alpiniste lambda. Il révèle qu'au moment des attentats terroristes de 2015-2016, la pratique de la montagne a profondément inspiré son mode de management...

Alors la fréquentation des sommets nous rendrait-elle meilleure que les autres ? Le philosophe Pascal Bruckner nous met en garde contre cette illusion. Il rappelle que les totalitarismes du 20e siècle ont tous exalté la haute montagne comme école de patriotisme et de virilité. "Une fois redescendu, dit-il, nous ne sommes qu'une personne parmi d'autres, nos semblables, nos frères".

Ces Nouvelles mythologies alpines sont publiées chez JM Editions.



Les Nouvelles Mythologies Alpines - JMEditions

 Les Nouvelles Mythologies Alpines sont en librairie ! Quel honneur de s’encorder à François Damilano et 43 plumes-amies pour interroger notre rapport aux montagnes tout en revisitant les mythes qui leur sont associés. « Matière à discuter au coin du feu, pendu à un relais ou emmitouflé dans son sac de couchage, toujours prétexte à dessiller le regard » précise l’éditeur. Le dernier petit livre jaune est disponible chez votre libraire ou directement par message à commande@jmeeditions.fr





mercredi 15 octobre 2014

La beauté est bizarre

Alain Bourdon a créé mon portrait. Il m’a dit : « Il faudrait faire ça tous les jours. Toute ta vie. 
Et on aurait Virginie Troussier ».  J’ai passé un long moment à le regarder, cherchant si cela me ressemblait. J’ai eu tout de suite envie d’en faire quelque chose. J’ai pensé que je pouvais le vendre aux enchères, me faufiler dans les salles de vente, démasquer l’acheteur, le suivre dans la rue et essayer de savoir qui il est. J’ai imaginé aussi que je pouvais simplement l’offrir à Alain Bourdon, encadré d’un beau bois comme il aime, l’accompagner d’un mot bien choisi, genre « tes yeux sont les miens » ou « notre œuvre commune », etc, etc. Et puis, j’ai trouvé. Je vais l’exposer, le planter là, dans le blanc de mon mur, ainsi que sur la toile virtuelle, me regarder dans le verre qui le protège, et dans l’écran de mon ordinateur, comme au musée, quand je m’observe moi dans la vitre, plutôt que le tableau derrière.
C’est mon portrait déformé au premier abord dont je pourrai dire, quand on me demandera qui c’est, que c’est une œuvre d’art, un portrait photographique d’un jeune artiste du 11ème, que je l’ai acheté dans une galerie, assez cher, tout en sachant que ça les vaut. Certains connaitront, d’autres pas, ou feront semblant. On en parlera. Je ferai monter sa cote avec mes propres cordes. Je raconterai l’histoire de cette photo jusqu’à ce qu’elle devienne un objet de convoitise. Elle prendra de la valeur au rythme de mon conte. C’est moi qui dorerai son cadre. Un jour, quand elle aura pris ce qu’il faut d’épaisseur, je déciderai qu’elle pourra voler de ses propres ailes.

Elle, qui était-elle ?

Il se peut que l’idée originelle d’Alain Bourdon était de faire ressembler des modèles à ses portraits imaginaires, et pas le contraire, faire croire que ses photos, ses dessins, ses regards, ses créations préexistent à la réalité. Et moi, j’ai donc été son œuvre. Il m’a créé à travers mes photos pour me conformer à ses idées. Pour être sa réalité. Je suis devenue cette fille et je vais m’y habituer, et lui aussi. Il va me confondre, me fondre dans son décor. Je jouerai à celle qui s’y sent bien, jamais à ma place, je remonterai sa pente en essayant de ne ressembler à rien d’autre. Alain Bourdon m’observe comme si c’était lui qui m’avait faite. Je suis son œuvre. Il va tourner autour de moi pour me saisir. Je reste dans son cadre. Il me fixe pour regarder ce que ça donne, satisfait de me voir, à mon tour, dans son moule.
Je suis entrée dans son œil, il m’a façonné, je suis sur sa sellette.

La vie a lieu là où les regards se posent. Nous créons des formes abstraites que nous remplissons de notre délire.

Je regarde le portrait. C’est étrange. Les théories sur le chiffre d’or et les proportions, ne m’intéressent pas. « La beauté est toujours bizarre », disait Baudelaire. La symétrie, c’est laid, ça ne donne que des gueules rincées. On ne voit d’ailleurs jamais vraiment notre visage tel qu’il apparaît aux autres puisqu’il est tout retourné par les miroirs. Du coup, sur les photos, on trouve qu’il y a quelque chose qui cloche. Nous n’avons pas l’habitude de voir notre visage dans ce sens-là comme nous n’avons pas l’habitude de voir celle des autres dans le miroir…la beauté c’est peut-être une question d’habitude. D’ailleurs, nous sommes souvent attirés par les traits qui nous rappellent quelque chose, ou des traits qui inconsciemment ressemblent aux nôtres. Nous, on se préfère à l’envers mais on préfère les autres à l’endroit. Chaque fois que mon regard se réfléchit sur lui-même à travers un miroir, mes yeux m’érodent comme de l’acide, des rayons laser qui attaquent comme un essaim invisible.

En regardant une photo, un portrait, notre miroir, l’esprit se gorge aussi du plaisir de l’extraction.  Ca fait le même effet qu’une dent de lait longtemps titillée, une pêche longtemps mûrie. Nous sommes plein d’affection pour ce fruit de nos entrailles, même si une pointe de douleur apparaît comme la sensation d’une lame dans le dos. Les photos ne sont que des petites plaies qui cicatrisent, des petites croûtes. La vie de la chair nous laisse pour tout souvenir que des écorces. Des morceaux d’images. Passées. Mortes. Découpées. Une multitude de petites coupures de papier qui croûtent et coupent.

Je change avec le temps. Et mon regard se déforme à chaque seconde écoulée. Il se modifie presque génétiquement, physiquement, il se gonfle des dernières pluies et se colore des dernières lumières. Je change, mais je ne meurs pas. Ce portrait fait de mon présent un passé perpétuel.

Alain Bourdon -l’artiste du 11ème - a assemblé tous ces miroirs qui me composent pour me renvoyer à mon image. Le danger est qu’ils réfléchissent trop, qu’ils crient la vérité, comme les tableaux, le cubisme de Picasso. Ils sont des morceaux, mais ils restent mes miroirs, mon image éclectique. Mon « moi » non monolithique. L'échappée belle de la folie. Ils mettent en lumière mon rapport instable, fantasmatique, parfois douloureux que nous entretenons avec notre propre image, oscillant entre l’être et le paraître, l’objectivité et la subjectivité, l’intimité et la mondanité, le narcissisme et l’insatisfaction de soi. Miroir transparent, distillant, déformant, opaque, brisé, aveugle ?

On se nourrit inlassablement et inconsciemment des regards comme les regards se nourrissent de notre image. Tout s’imbrique, s’entremêle, se forme et se déforme sans cesse, en se réfléchissant à l’infini, frôlant les schizophrénies, révélant nos mille facettes. Sous le flash de l’artiste, je suis face à elles, ces vérités muettes.

Et si on ne peut apprivoiser son corps, on peut le dépasser. Il n’est pas la fin mais le moyen de mon existence au monde, existence à laquelle il ne tient qu’à moi de donner un sens.