Les livres ne sont jamais des blocs opaques séparés de la vie de ceux qui les écrivent. Ce livre a orienté ma manière de vivre au moment où je le travaillais. Une communication étrange s’est opérée entre lui et moi sans que je puisse clairement établir qui, véritablement, guidait l’autre. Il m’a fallu physiquement éprouver la matière de mon texte en poussant mon corps dans ses lignes. Avec Vincent, retourner sur les lieux de l’histoire, la face sud du mont Blanc. J’y avais tant songé, que je n’ai pas eu l’impression de m’être déplacée pour y être. Avec Mauro, prendre le café au lever du jour en regardant la montagne sous toutes ses lumières, et entendre résonner la moindre palpitation. Chaque mouvement là-bas entraîne une sensation amplifiée. Funambule chavirant dans l’immensité de l’instant, il m’a fallu entrer en fusion avec ce qu’il s’est passé il y a bientôt 60 ans, avec l’histoire de ces alpinistes joyeux, incroyables, qui se logent en vous avec une telle puissance que l’on ne peut qu’en être troublé. Discuter avec celui qui reste, Pierre Mazeaud, chercher des traces, des indices, un geste, lorsque les crêtes ont tremblé cet été-là, lorsque le sol a débordé dans le ciel, et le ciel s’est écrasé sur la roche. Plonger dans tout ce qui échappe. Les mémoires sont labiles, mais l’écriture nous permet toujours de se rapprocher de ce qu’il y a de plus vibrant. Merci à tous ceux qui m’ont accompagnée, et surtout à Charlie Buffet des éditions Guérin Chamonix / Paulsen. En cette année si étrange, traversée par ce que j’ai perdu et ce qui me manque, je relis pour la dernière fois avant janvier 2021, cet hymne à ce qui dure, à ce qu’il y a de plus intime et de plus permanent en nous.
Rilke

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vendredi 30 avril 2021
Le corps en représentation - Mots et images du sport
Je reviens sur l'édition du Vendée Globe 2016 qui m'a particulièrement marquée, dans l'ouvrage passionnant - Mots et images du Sport, le corps en représentation - sous la direction de Jean Cléder & Gaelle Debaux, paru en 2020 aux éditions le Bord de l'eau.
mardi 12 mai 2020
lundi 11 novembre 2019
Le kairos
9 novembre. Je
me suis demandé ce matin si Bastian connaissait la date du jour. Alors bien
sûr, tous les jours à 15h TU il reçoit la météo et le classement, et il doit s’y
tenir pour anticiper la suite de la course, mais je l’imagine se dépouiller peu
à peu de tout excédent. Il expérimente la liberté suprême, l’éloignement des
choses inessentielles, une certaine raréfaction. Je l’imagine tout observer, le
regard exercé, aiguisé, rester des heures à scruter la houle - le paysage ne
laissant jamais voir qu’un fragment, rejouant chaque fois une partition
différente. Il dévisage la lune, examine les constellations – le lithium
apaisant les nerfs – et tente de se faire capturer par les grandes combustions.
Il doit vivre une expérience globale, intime, où se dérègle et s’intensifie sa
relation à lui-même et au monde, au sein d’un autre monde, qui suppose une
attention singulière, des gestes particuliers, extrêmement précis et un
matériel technique exigeant. Depuis hier, sa vitesse semble réduite par rapport
aux autres concurrents. Son option sud était pourtant bien jouée – les concurrents
au nord s’enlisaient dans une bulle sans vent – mais le 740 en a décidé
autrement. Problèmes de safran à bord. S’il y a une certitude à retenir, c’est
que Bastian est un marin tenace, il s’accrochera
jusqu’au bout du bout. Alors il poursuit sa route, gêné très certainement, mais
il avance ! Tiens bon ! Le voilà sûrement incorporé dans une double
temporalité, celle du chronomètre de la course, ravivant une hargne terrienne, qui
rend les heures tangibles, mais aussi, et surtout, celle où tout se dilue, se
ressemble et se confond, absorbée dans la grande continuité fluide, mouvante, incalculable.
Mais il y aussi un concept du temps inventé par les Grecs appelé le kairos. C’est
l’instant T. L’instant qui devient instant. L’instant où tout s’aligne, l’instant
qui nous envoie des signes. Si le kairos est avec lui aujourd’hui, le rideau de
cette nuit, où les étoiles sont apparues comme des clous d’or, s’est levé pour
faire apparaître une luminosité particulière, qui aura rechargé ses batteries
solaires et personnelles. Ce jour aura les contours de la perfection, la
texture d’un songe, la mémoire d’une
trajectoire. J’espère que rien ne t’encombre, et que tu ne gardes que la force des liens tissés avec l’océan,
que rien ne pourra défaire. Bon anniversaire, Bastian.
(Mini-Transat 2019)
samedi 9 novembre 2019
Las Palmas
Las Palmas. Je fais ma valise, combinaison 3/2 qui pend sur la terrasse, soleil noir, tongs étrennées sur tous les sables agités, vents puissants dans nos voiles, une lettre, un manuscrit achevé, profondeur détendue, parfum de la Casa del Perfume Canario, cheveux avec des rouleaux, jambes allongées sur la méridienne pour lire, cafés sur les toits à chaque lever du jour, vagues urbaines, sillage qui se referme, larmes chaudes, sensations qui brûlent,
filtre bleu océanique.
dimanche 12 octobre 2014
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