Rilke

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samedi 27 décembre 2014

Très bel article de Marc Villemain pour Envole-toi Octobre

samedi 13 décembre 2014

Virginie Troussier - Envole-toi Octobre



Virginie Troussier - Envole-toi Octobre
À bien des égards, l'on pourrait considérer Envole-toi Octobre, le nouveau texte de Virginie Troussier, comme la suite, ou plutôt l'extension, de Folle d'Absinthe, paru il y a deux ans : mêmes leitmotivs, mêmes obsessions du temps, de la mort, de l'amour fou, du souvenir et des absolus. Qu'est-ce qui, alors, fait qu'Envole-toi Octobre se révèle infiniment plus dur, âpre et touchant ?
Passé l'expérience (toujours très singulière, parfois éprouvante) de la première publication, Virginie Troussier a, de toute évidence, beaucoup travaillé. On le constate dès les quelques pages d'ouverture, relues deux fois à la suite tant elles ont, et puissamment, réussi à m'arracher à la terrasse de bar où je me trouvais à les lire, et à me propulser aux côtés de Suzanne, la narratrice, au sommet de ces montagnes dont on sait par ailleurs qu'elles sont une des plus fortes passions de l'auteure (monitrice de ski dans le civil en plus d'être critique littéraire). J'ai su, donc, dès ces premières pages, que ce que j'allais lire là ne s'était pas autorisé la moindre concession, et que Troussier était bien décidée à nous écorcher. Ce qui, mais cela va sans dire, l'a probablement conduite à s'écorcher elle-même ; cela aussi, on le sent, et vivement, au point qu'il est tout de même difficile, en refermant le livre, d'en parler comme d'un "roman" : le "je" de Virginie Troussier est un je qui l'engage presque entièrement. On lui fera volontiers grâce de quelques inventions, raccords et autres mises en scène, nécessaires à la composition d'ensemble, mais c'est peu dire que Virginie, l'auteur, éprouve du mal à se dissimuler derrière Suzanne, le personnage. C'est, bien sûr, ce qui donne à ce texte, très intime, son ombre incessante et palpitante de mélancolie. Aussi bien, il s'agit là d'une écriture étrangement sèche et humide : ce qu'il y a de sec, c'est cette sorte de volonté, très forte, très intransigeante, non seulement de passer la vie au tamis de la littérature, mais de la mettre tout entière à l'épreuve même de l'écriture. D'où cette prose très précise dans son intention, très attachée à la justesse de ce qu'elle veut écrire ou décrire, et tout à la fois traversée de flottements, de méandres : il faut à Virginie Troussier plusieurs adjectifs pour tenter d'approcher au plus près des choses, il lui faut revenir, repréciser, ressasser, pour être bien certaine d'avoir capté ce qui vibrait (c'est d'ailleurs la réserve que j'émettrai, à savoir que la seule chose qui ait peut-être manqué à ce texte, c'est d'un éditeur un peu consciencieux, qui sache convaincre l'auteur de sabrer, de retrancher : la sensation du coup de poing eut été plus vive encore.) Humide, aussi, disais-je, car le personnage de Suzanne déborde de toutes les humeurs possibles : il y a des larmes, des cris, des souffrances, des solitudes, des soliloques, des dépressions, de la pulsion, de l'hystérie, de l'automutilation, de la colère et du mal-être - il y a du coeur : trop de coeur, même, et c'est bien ce qui fait exploser Suzanne, aimant et dévorant la vie au point de ne plus savoir vivre.
Tout aussi "symptomatique" me semble être la beauté profonde (et, ici, pleine de tendresse) des pages consacrées au père, et plus encore au grand-père - à ce qui vieillit, en somme. Suzanne voit en ces hommes durs, exigeants, farouchement individualistes, l'exemple à suivre. C'est parce qu'on est dur et exigeant envers soi-même, c'est parce qu'on ne se plaint pas, jamais, de rien, parce qu'on a conscience qu'il faut "brûler pour briller", parce qu'il faut accepter que l'amour soit "une lutte dans la boue et l'or", que l'on vivra, que l'on saura vivre, que l'on méritera du mieux que l'on peut de la vie et de ses trésors. Alors Suzanne aimera tout de la vie, mais à la condition de pouvoir y mettre le feu - ce qui, peut-être, explique ce goût de cendres qu'elle ne parvient jamais à recracher tout à fait. Elle se demande d'où elle vient, de quelle génération, de quel héritage, elle se demande ce qui l'a fait telle qu'elle est - et le regard du grand-père n'est jamais bien loin. "C'est à cela que sert la quête d'origine : elle nous aide à reconnaître ce qui nous a faits tels que la mort nous trouvera", écrit Virginie Troussier, dont on s'étonne en passant, que, si jeune encore, elle s'acharne à vouloir exhausser autant de souvenirs et de sensations. Car le malheur de Suzanne est le malheur de ceux qui ont, non pas trop de passé, mais déjà trop de mémoire. Cette mémoire qui entretient et décuple un romantisme qui confine au mysticisme, un romantisme dont elle ne fait que subir la puissance intrusive, l'envahissement, pour ainsi dire, totalitaire. Mais elle est jeune encore, elle a trente ans - l'âge de l'auteure -, alors, bien sûr, à la fin, on veut bien consentir à un dernier effort, et essayer d'y croire encore. Et puis après, ma foi... "Après on s'éteindra doucement. Les gens, ils prennent tout leur temps pour s'éteindre. Les gens s'éteignent. Ce n'est pas inutile de commencer par brûler."

Interview sur Le Mouv'

http://www.lemouv.fr/diffusion-virginie-troussier

Virginie Troussier
Après septembre, nous attendons toujours une fin, en observant précisément les oscillations de notre coeur.

Résumé: Après septembre, nous attendons toujours une fin, en observant précisément les oscillations de notre coeur. Nous regardons les oiseaux qui volent si bas, dévorer ce qu'ils peuvent comme si la plus grande des guerres leur pendait au cou, ou comme si, au contraire, il était urgent de vivre le plus délicieux, le plus vite possible avant de fuir ailleurs. Entre le soleil et la pluie, souffrir et se réjouir de la fragilité du temps, ne pas réussir à compter sur ses doigts les heures qui séparent marée haute de marée basse, tenir au monde par un scotch usé. On peut abriter une saison sous son col, sous sa peau, ses ongles, son oreiller, comme une dent par la fenêtre de l'enfance...L'automne sème des grenades entre les dents et nous les dégoupillons avec la bouche...
                                            Couverture "Envole-toi octobre", éditions Myriapode

Envole-toi octobre est le récit d'une héroïne dont la mélancolie cacha une indécente adoration pour la vie. Que doit-on faire couler dans nos veines pour que cela circule ?...

Envole-toi Octobre : le coup de coeur des Facéties de Lucie

"Envole-toi Octobre" de Virginie Troussier

envole toi octobre 
Le 1er roman de Virginie Troussier "Folle d'absinthe"  je l'avais follement aimé au point de le lire deux fois de suite. 
Prune, l'écorchée vive qui remâchait ses souvenirs se serait parfaitement entendue avec Suzanne la narratrice mélancolique de ce 2ème roman de Virginie Troussier. 
On la dit folle. Je la trouve seulement hypersensible, traversée en permanence par une multitude d'émotions qui la bousculent au point qu'elle semble perdre la raison. 
Pourtant. Si elle paraît au bord du gouffre, elle a en elle une féroce envie de vivre. Elle cherche l'équation qui fait battre le coeur plus fort. Tout est plus intense chez Suzanne, la tristesse comme la joie. Elle étire chaque émotion au maximum et s'en revêt. 
Elle archive aussi, Suzanne. Des milliers de souvenirs qui saturent sa mémoire et la fragilisent. Elle se dope à l'amour mais ça ne fait que l'affaiblir un peu plus. Elle est poreuse Suzanne. Une véritable éponge. 
Les hommes qu'elle rencontre et les livres qu'elle lit, tout concourt à la faire avancer sur un chemin baigné de la lumière donné par un soleil qui finit toujours par percer les nuages. 
J'ai noté des dizaines de phrases dans un petit carnet. Virginie Troussier enfile les mots comme d'autres les perles sur un fil barbelé qui laisse des marques sur ses lecteurs. 
En lisant ce roman, je me suis laissée envahir par une douce mélancolie, j'ai ouvert quelques cartons de souvenirs et je me suis demandée avec Suzanne comment éviter que nos émotions nous dévorent, comment être moins perméable aux autres et comment savoir qui nous sommes, comment les réseaux sociaux modifient nos relations et comment le zapping relationnel altère la valeur de l'amour.  
Et en le refermant, j'ai eu envie de lire Sylvia Plath, je me suis dit que j'étais heureuse de la densité que je donne à ma vie intérieure et de la lumière que j'arrive à percevoir en toute chose.
Je me suis demandée si moi non plus je n'étais pas folle.
C'est un COUP DE COEUR. Foncez l'acheter, lisez le d'un trait. 
Des extraits parmi tant ...
"Les femmes folles ont une chute de reins profondément marquée parce qu'un torrent d'émotions transperce leur ventre et érode leur taille." page 124
"Je sais que certains esprits voient dans l'introspection du narcissisme. Ils ne saisissent pas l'expression "vie intérieure" . Page 131
"Une femme amoureuse c'est terrible. Tu peux tout obtenir d'elle, tu peux la mettre sur le flanc, tu peux la faire ramper, elle peut te lécher les pieds." Page 197
"Les mots d'amour. Ils font faire de ces choses" page 199
"La colère est la sécrétion des faibles peaux. Ce sont des mots d'amour à l'envers, une émotion à haute voix, un pas de travers". 229
"Pourquoi fou ? Qui l'a décidé ? Où se situe le curseur de la raison ?" 258
"Oui, nous pouvons changer, comprendre, mais il faut le vouloir et s'aventurer. La mélancolie peut devenir positive, et c'est ce chemin que nous allons prendre". 53
Le billet de Séverine qui a visiblement aimé la "plume embrasée" (embrassée ?! parce qu'elle enflamme autant qu'elle enlace...) de Virginie !
Merci Virginie pour la si jolie dédicace ! Touchée !

Critique Envole-toi Octobre sur Romans sur Canapé

Dès les premières lignes, j’ai ressenti une véritable force qui se dégageait des mots que je lisais. On sent que Virginie Troussier maîtrise parfaitement la langue française. Ses phrases sont riches et pleines de sens. Envole-toi Octobre n’est pas un roman conventionnel avec un début, une fin et de l’action entre deux. Ici, il faut s’attendre à une héroïne entre deux âges, perdue dans sa vie. Nous la suivons dans ses réflexions sur son vécu, assistons à ses colères et à sa rage de vivre qui rejaillit malgré tout.
Ce roman est assurément fort et captivant. J’ai aimé l’introspection de Suzanne à laquelle je me suis identifiée sur certains points. J’ai eu l’impression de vivre son histoire. Au final, c’est un titre que je suis heureuse d’avoir lu et que je relirai avec plaisir.

http://romansurcanape.fr/envole-toi-octobre-virginie-troussier/

Critique Envole-toi Octobre sur Les Nouveaux Livres

Ce roman ne ressemble pas à un roman. Il ressemble à un journal intime, sûrement poétique, peut être narcissique, sans doute thérapeutique, délicieusement mélancolique, et pourtant emplit d'une rage de vivre incontestable. 
Ce roman nous dérange, bouscule, interpelle,  nous donne envie de fuir la trouble intimité de la narratrice, et pourtant de rester, peut-être pour la consoler, ou bien pour voir jusqu'où elle pourra nous capturer.
Ce roman est un miroir. Le miroir de nos peurs les plus intimes, de nos angoisses face au temps qui passe, mais aussi de nos instants d'émerveillement au cœur de notre vie insaisissable.
Ce roman est un paysage. Un paysage sans commencement et sans fin, qui défile en bousculant sans cesse notre cœur et nos pensées. Une montagne enneigée,  une forêt d'épineux, un ciel gris, des oiseaux dans le vent, une plage, la mer, des étoiles, encore une montagne, une ville, un hôpital, une route de campagne, un rayon de soleil couchant...
 "Et quand le soleil fait miroiter son horizon, fait découvrir ses ombres flottantes, on découvre avec joie la vie comme une île"

http://www.nouveauxlivres.fr/Pages/ENVOLETOIOCTOBRE.aspx

vendredi 21 novembre 2014

Une chronique de Séverine Laus-Toni pour Envole-toi Octobre


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Après Septembre, nous attendons toujours une fin, en observant précisément les oscillations de notre cœur. Nous regardons les oiseaux qui volent si bas, dévorer ce qu’ils peuvent comme si la plus grande des guerres leur pendait au cou, ou comme si, au contraire, il était urgent de vivre, le plus délicieux, le plus vite possible avant de fuir ailleurs. C’est bâtard et troublant d’être né en automne. Entre le soleil et la pluie, souffrir et se réjouir de la fragilité du temps, ne pas réussir à compter sur ses doigts les heures qui séparent marée haute de marée basse, tenir au monde par un scotch usé. On peut abriter une saison sous son col, sous sa peau, ses ongles, son oreiller, comme une dent par la fenêtre de l’enfance. On peut avoir quelques pas d’avance sur la saison qui vient et cerner la forme que prend le désir, avant d’aimer à s’en sucer la moelle, puis hurler, à en rougir. Tout peut si vite devenir pimenté. Car, de ce gris ambiant, advient toujours, d’un ciel ouvert comme une orange, un éclairage nouveau et vaudou. L’automne sème des grenades entre les dents et nous les dégoupillons avec la bouche.
Envole-toi Octobre est le récit d'une héroïne dont la mélancolie cache une indécente adoration pour la vie. Que doit-on faire couler dans nos veines pour que cela circule? 
J'ai commencé la lecture de ce livre par une sublime dédicace, j'étais donc fortement émue avant même d'avoir lu les premières lignes du roman...
Entre nous, à sa lecture (de la dédicace), j'étais presque sûre que je n'allais pas être déçue, et de fait, la dédicace se révèle être dans la même veine touchante, émotive et vivante que le roman.

Un roman au très beau (et symbolique) titre, plein de folie, de rage et de difficulté de vivre, un roman avec ses petites maladresses et tendresses, qui fait valdinguer dans tous les sens et se cogner contre les murs de la vie comme Suzanne, l'héroïne, que l'on a envie d'aimer, d'écouter, accompagner.  Parce que Suzanne c'est un peu nous... du moins y retrouvais-je un peu de moi, parfois.
Alors je lisais, posais, notais, respirais, reprenais... je voyais une jeune femme, un peu border-line, un peu inadaptée à la dureté de la société/des relations actuelle(s), confrontée aux questions, aux doutes, aux absences, aux envies, aux colères, à la solitude et aux manques que l'on traverse...
Une jeune femme débordante d'envie de vivre au présent, tout en respectant le passé et analysant le sien, qui cherche en elle son 
renouveau, en montagne, auprès de ses parents/amis, à l'hôpital, ou enfermée dans son appartement parisien... sans jérémiades, mais avec frénésie et émotion, et tant de phrases qui font mouche.
Envole-toi Octobre est comme un champ d'herbes folles (où l'on peut se perdre), traversé de tempêtes ou innondé de soleil, plein de la mélancolie et de la rage de vivre qui nous animent alternativement.
Une quête à vif, de soi, d'amour, des autres... Une recherche, 
faite d'accidents de parcours, d'un chemin parfois injustement encombré qui déroute... la vie en somme... hyper-sensiblement décrite par la plume embrasée de Virginie Troussier.

"La vie ne cesse pas. Ne plus vouloir - c'est à dire ne plus désirer, ne plus aimer, ne plus s'efforcer, ne plus refuser, en fin de compte ça ne sert ) rien. Pour chaque racine de la volonté extirpée, d'autres surgissent ou révèlent une présence que nos préoccupations passées nous empêchaient de voir."
Lecture des premières lignes d'Envole-toi Octobre par Virginie Troussier:
L'auteur(e) >> Virginie Troussier est née en 1985. Elle signe ici son deuxième roman après Folle d’absinthe paru en 2012.

jeudi 6 novembre 2014

Critique de Cécile Pellerin pour Actualitté - Envole-toi Octobre : une femme sous influence

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ISBN : 9782359450491
Prix eBook :
Prix papier : 21 euros
Pages : 300 pages
Editeur : Myriapode
Retrouver Myriapode de Virginie Troussier sur la librairie de ActuaLitté
Après Prune, la narratrice du précédent roman de Virginie Troussier(Folle d'absinthe, Myriapode, 2012), voici Suzanne, jeune femme, à l'aube de la trentaine, tout aussi fragile et hypersensible, en quête d'absolu, impulsive et instable.

« Tant que je vivrai, je me confronterai au danger, pour que toujours le plus intense, l'emporte […] Gagner mon corps, le pousser à bout, ne pas le craindre. Je voudrais gagner la souffrance physique, l'exploiter, la transcender. »

Immanquablement séduisante et troublante, (« je me sens  toute heurtée, même cabossée ») elle emporte le lecteur dans les affres de la folie et de l'émotion, l'indispose et le retient tout à la fois, le submerge et l'anéantit sans pour autant l'inquiéter ni le maltraiter car, au cœur de cette personnalité intense et bouillonnante, sans doute borderline,  s'exhalent une douce chaleur, une grâce indéniable, capables de pondérer l'excès, apaiser les dérives, embellir la vie même et enchanter la lecture au final.
Dans ce récit très introspectif, Suzanne s'étudie avec minutie et s'accomplit, se libère et s'émancipe. Sorte de quête initiatique, semée d'embûches et de dérives douloureuses, de doutes profonds et dévastateurs, de rencontres, amoureuses ou non, bouleversantes, qui la construisent ou la détruisent mais la renforcent, chaque fois, atténuent ses peurs, la délivrent peu à peu d'un passé étouffant.
Tour à tour défilent autour d'elle, Antoine, Thomas, George, amants, amis à jamais, son grand-père Lucien, dont elle l'admire la vie, entièrement vouée à sa femme défunte, son père, exigeant et inatteignable qu'elle craint sans cesse de décevoir, sa mère, dans son rôle de mère et Charly, son voisin, avec qui elle franchit les limites, se brise à plein poumons, hurle ses angoisses, n'échappe plus à sa douleur et à sa mélancolie, aspire à l'expérience surréaliste suprême de l'amour fou et s'abandonne entièrement, jusqu'à se déposséder d'elle-même.

Devenir folle. Pour mieux renaître ensuite. « Oui, j'ai envie d'être vraiment folle et de ne plus l'être à moitié ».
« Une raison qui zigzague en pente comme un parcours de ski de randonnée en montée. »

Un cheminement houleux et vallonné, qui la mène des sommets alpins jusqu'à Paris,  également philosophique et artistique, de Spinoza à Epictète, en passant par Antonin Arthaud, les poétesses russes, les Beatles ou Bach ; torturé, effrayé, parfois complexe, toujours sensible, à la fois intime et exubérant, contenu et excessif, extrêmement vivant.

« Le plus difficile est de faire comprendre cette souffrance que l'on a en soi. Immense. Sans fond. »

Inédit et touchant,  c'est un récit empreint d'une sincérité vulnérable et délicate dont le lecteur se fait  d'emblée le protecteur et le complice, de page en page, sans répit ni lassitude, interpellé, mis en émoi, grâce notamment à une écriture poétique, intense et sensuelle, ultrasensible où chaque objet, chaque paysage, chaque sentiment, par leur description minutieuse et nuancée, réveillent tous les sens, pénètrent l'âme et le cœur.

Un style éclatant, en fusion permanente avec Suzanne, qui fait corps avec elle et saisit le lecteur, littéralement intégré au rythme, porté par ce mouvement tantôt fébrile, tantôt assuré, si expressif.
Une histoire, tel un patchwork, une sorte de constellation dont le déroulement (toujours sous contrôle) est cadencé  par une succession de digressions maîtrisées, toutes liées à Suzanne,  disposées là comme l'expression même du tumulte, de l'agitation qui l'animent et la menacent. « C'est hors de contrôle, en plus ça ne passe pas, en dehors de la tête […] C'est l'avènement du monstre en moi. »

Si ça et là parfois, le lecteur est incommodé, a du mal à suivre l'héroïne dans ses pensées intimes, sa vie intérieure, s'il se sent dépossédé de l'histoire, impuissant, mal à l'aise avec Suzanne et sa sincérité absolue, intimidé même par son esprit, sa précision d'analyse, il  lui reste pourtant fidèle jusqu'aux dernières pages, veut croire à son envol,( et au talent de cette jeune écrivain, assurément prometteur) stimulé et séduit par cette écriture très personnelle, poétique et musicale, sensitive, qui le pénètre, tel un parfum ardent et capiteux.

L'article ici : https://www.actualitte.com/critiques/envole-toi-octobre-une-femme-sous-influence-2504.htm

mercredi 15 octobre 2014

La beauté est bizarre

Alain Bourdon a créé mon portrait. Il m’a dit : « Il faudrait faire ça tous les jours. Toute ta vie. 
Et on aurait Virginie Troussier ».  J’ai passé un long moment à le regarder, cherchant si cela me ressemblait. J’ai eu tout de suite envie d’en faire quelque chose. J’ai pensé que je pouvais le vendre aux enchères, me faufiler dans les salles de vente, démasquer l’acheteur, le suivre dans la rue et essayer de savoir qui il est. J’ai imaginé aussi que je pouvais simplement l’offrir à Alain Bourdon, encadré d’un beau bois comme il aime, l’accompagner d’un mot bien choisi, genre « tes yeux sont les miens » ou « notre œuvre commune », etc, etc. Et puis, j’ai trouvé. Je vais l’exposer, le planter là, dans le blanc de mon mur, ainsi que sur la toile virtuelle, me regarder dans le verre qui le protège, et dans l’écran de mon ordinateur, comme au musée, quand je m’observe moi dans la vitre, plutôt que le tableau derrière.
C’est mon portrait déformé au premier abord dont je pourrai dire, quand on me demandera qui c’est, que c’est une œuvre d’art, un portrait photographique d’un jeune artiste du 11ème, que je l’ai acheté dans une galerie, assez cher, tout en sachant que ça les vaut. Certains connaitront, d’autres pas, ou feront semblant. On en parlera. Je ferai monter sa cote avec mes propres cordes. Je raconterai l’histoire de cette photo jusqu’à ce qu’elle devienne un objet de convoitise. Elle prendra de la valeur au rythme de mon conte. C’est moi qui dorerai son cadre. Un jour, quand elle aura pris ce qu’il faut d’épaisseur, je déciderai qu’elle pourra voler de ses propres ailes.

Elle, qui était-elle ?

Il se peut que l’idée originelle d’Alain Bourdon était de faire ressembler des modèles à ses portraits imaginaires, et pas le contraire, faire croire que ses photos, ses dessins, ses regards, ses créations préexistent à la réalité. Et moi, j’ai donc été son œuvre. Il m’a créé à travers mes photos pour me conformer à ses idées. Pour être sa réalité. Je suis devenue cette fille et je vais m’y habituer, et lui aussi. Il va me confondre, me fondre dans son décor. Je jouerai à celle qui s’y sent bien, jamais à ma place, je remonterai sa pente en essayant de ne ressembler à rien d’autre. Alain Bourdon m’observe comme si c’était lui qui m’avait faite. Je suis son œuvre. Il va tourner autour de moi pour me saisir. Je reste dans son cadre. Il me fixe pour regarder ce que ça donne, satisfait de me voir, à mon tour, dans son moule.
Je suis entrée dans son œil, il m’a façonné, je suis sur sa sellette.

La vie a lieu là où les regards se posent. Nous créons des formes abstraites que nous remplissons de notre délire.

Je regarde le portrait. C’est étrange. Les théories sur le chiffre d’or et les proportions, ne m’intéressent pas. « La beauté est toujours bizarre », disait Baudelaire. La symétrie, c’est laid, ça ne donne que des gueules rincées. On ne voit d’ailleurs jamais vraiment notre visage tel qu’il apparaît aux autres puisqu’il est tout retourné par les miroirs. Du coup, sur les photos, on trouve qu’il y a quelque chose qui cloche. Nous n’avons pas l’habitude de voir notre visage dans ce sens-là comme nous n’avons pas l’habitude de voir celle des autres dans le miroir…la beauté c’est peut-être une question d’habitude. D’ailleurs, nous sommes souvent attirés par les traits qui nous rappellent quelque chose, ou des traits qui inconsciemment ressemblent aux nôtres. Nous, on se préfère à l’envers mais on préfère les autres à l’endroit. Chaque fois que mon regard se réfléchit sur lui-même à travers un miroir, mes yeux m’érodent comme de l’acide, des rayons laser qui attaquent comme un essaim invisible.

En regardant une photo, un portrait, notre miroir, l’esprit se gorge aussi du plaisir de l’extraction.  Ca fait le même effet qu’une dent de lait longtemps titillée, une pêche longtemps mûrie. Nous sommes plein d’affection pour ce fruit de nos entrailles, même si une pointe de douleur apparaît comme la sensation d’une lame dans le dos. Les photos ne sont que des petites plaies qui cicatrisent, des petites croûtes. La vie de la chair nous laisse pour tout souvenir que des écorces. Des morceaux d’images. Passées. Mortes. Découpées. Une multitude de petites coupures de papier qui croûtent et coupent.

Je change avec le temps. Et mon regard se déforme à chaque seconde écoulée. Il se modifie presque génétiquement, physiquement, il se gonfle des dernières pluies et se colore des dernières lumières. Je change, mais je ne meurs pas. Ce portrait fait de mon présent un passé perpétuel.

Alain Bourdon -l’artiste du 11ème - a assemblé tous ces miroirs qui me composent pour me renvoyer à mon image. Le danger est qu’ils réfléchissent trop, qu’ils crient la vérité, comme les tableaux, le cubisme de Picasso. Ils sont des morceaux, mais ils restent mes miroirs, mon image éclectique. Mon « moi » non monolithique. L'échappée belle de la folie. Ils mettent en lumière mon rapport instable, fantasmatique, parfois douloureux que nous entretenons avec notre propre image, oscillant entre l’être et le paraître, l’objectivité et la subjectivité, l’intimité et la mondanité, le narcissisme et l’insatisfaction de soi. Miroir transparent, distillant, déformant, opaque, brisé, aveugle ?

On se nourrit inlassablement et inconsciemment des regards comme les regards se nourrissent de notre image. Tout s’imbrique, s’entremêle, se forme et se déforme sans cesse, en se réfléchissant à l’infini, frôlant les schizophrénies, révélant nos mille facettes. Sous le flash de l’artiste, je suis face à elles, ces vérités muettes.

Et si on ne peut apprivoiser son corps, on peut le dépasser. Il n’est pas la fin mais le moyen de mon existence au monde, existence à laquelle il ne tient qu’à moi de donner un sens.


dimanche 12 octobre 2014

Octobre

Au milieu de chaque saison je sais qu'il y a en moi un automne invincible.